dimanche 10 avril 2011

BOUTEILLE À L'AMER


 BOUTEILLE À L’AMER

Décembre 2007. Les étangs de Gruissan. L’humidité. Des perles d’eau sur le paysage et le froid.
Le sentier jonché de cartouches, de bouteilles.  Cannettes de bière et autres.
Bouteilles isolées, presque cachées par la végétation, enfouies sous les roseaux gris en décomposition.
D’autres gisant au bord de l’eau. Dans la vase, flottent des bidons rouillés.

Le sentier mène à une décharge.
Vertes, translucides, jaunes, blanches, à col rouge, en verre, en plastique. Des bouteilles par dizaines. Des récipients en fer aussi. Couchés dans l’herbe rase ou la terre humide. Partout le rouge des cartouches.
Des détritus rassemblés là par le vent, les coups de mer, les courants ? D’autres abandonnés par les chasseurs.
Les bouteilles ne pourrissent pas. Plusieurs vies auront passé que ces bouteilles seront encore là pour d’autres regards.
Je photographie, je rebrousse chemin pour faire un cliché des premières. Les objets en verre miroitent dans la clarté fade de ce jour d’hiver. Le plastique brûlé par le soleil, la salinité de l’air a pris des teintes inhabituelles.
Pour la dernière photo, je déplace une bouteille en verre couverte d’une boue blanche et la place dans une flaque exposée au soleil rasant.
C’est la bouteille à l’amer.

Je sélectionne 12 clichés, conçois une carte de vœux, renonce cependant à la faire circuler. J’envoie aussi quelques photos par internet au peintre et plasticien Serge Griggio. Il m’en rapporte une, agrandie et entachée de peinture rouge. Intervention du peintre.

Imaginer
Ces bouteilles ont été un jour emportées ou jetées à la mer. Elles ne portent trace d’aucun message : ni appel au secours ni secret ni signe quelconque adressé à un destinataire.
Elles reviennent comme les épaves d’un naufrage, échouent sur la grève.
Elles gardent l’empreinte du voyage : usure du verre dépoli, matité du plastique, froissement, écrasement, plissement, contorsions, dislocations, cassures.
Certaines sont intactes. D’autres se sont remplies. Le bouchon est conservé ou pas.

Tenter une prosopopée, faire parler la bouteille. Messagère de l’amer.
Les bouteilles ont navigué : elles connaissent chaque vague. Elles reviennent chargées de la mémoire d’un monde qui est appelé à disparaître. Celui qu’annoncent les récits d’anticipation.

Faire parler les bouteilles, c’est mon intention.
Un travail d’écriture que je propose à des élèves de troisième.
Pour nous y préparer, nous nous rendons au mois de mars dans l’atelier de Serge Griggio à Moux pour y découvrir ses conteneurs à l’intérieur desquels il a accumulé des détritus peints en bleu parmi lesquels, des bouteilles bleues aussi. L’univers –poubelle nous interroge lui comme moi.
Dans l’après-midi, ensemble nous partons pour une plage de Gruissan avec des sacs-poubelles et ramassons polystyrène, cordages, bouteilles en verre et en plastique, boîtes de conserves rouillées, claquette, chaussure, jouet, bouchon, emballage plastique, bois flotté, coquillages, branchages, racines, sable. Serge Griggio filme l’opération rendue difficile à cause du vent très violent et du froid. Ces matériaux doivent servir à la construction de sculptures avec message pour une exposition en mai 2008 à la médiathèque de Narbonne dans le cadre du salon de littérature de jeunesse intitulé cette année-là « Et demain ». Serge Griggio exposera également ses conteneurs.

L’élaboration des sculptures s’organise avec Serge et le professeur d’Arts Plastiques Pierre Escudier.
Nous élaborons avec les élèves les messages  selon la démarche surréaliste du cadavre exquis. Le cadavre, c’est le nom donné à des bouteilles qui ont été bues jusqu’au bout.
Le jeu consiste à composer une phrase de manière collective en écrivant chacun un mot sur un papier que l’on plie avant de le passer au joueur suivant. Nous jouons plusieurs fois et puis nous faisons le tri, reformulons parfois, abandonnons aussi. Je trouve bonheur à la lecture de ces jeux de mots.
Dans un premier temps les messages-poèmes ont été glissés à l’intérieur des bouteilles si bien qu’ils perdaient toute lisibilité. C’est bien là selon moi en conformité avec la réalité.

Les élèves se sont désintéressés du sort de ces textes composés collectivement.
Ils ont écrit individuellement d’autres poèmes qu’ils ont fait figurer sur les sculptures.

Les  poèmes-messages ont finalement trouvé place sur un grand carton d’emballage à l’étiquetage rouge déchiré et que j’ai blanchi à la peinture acrylique. J’ai copié ces messages à la main. La grande feuille de carton a été ensuite installée dans l’entrée de la médiathèque à même le sol. Les visiteurs, beaucoup d’enfants, se sont arrêtés pour lire…


Les dauphins plongent leur regard dans le flux et le reflux.
Un éléphant de mer accroche tranquillement la rouille et le plastique.
Un stylo encre travers la mer en minuscules et majuscules.
Les étoiles furieuses de la mer crient.
Les vaguent marchent en ordre pendant la nuit.
Des poupées cendrées naviguent étroitement serrées.
Dans l’antichambre de la sirène, une ombre noire gambade.
Les couleurs de la défaite honteuse de l’humanité défilent sur la plage.
















mercredi 2 mars 2011

VOLETS

 VOLETS

L’été. Le début de l’après-midi. Les volets fermés. Les stores du deuxième étage tirés. La façade dans l’aveuglement de la lumière. La chaleur comme un tremblement de l’air masquant les quinze fenêtres de la façade.
Le soleil va contre le mur clair et les volets blancs du premier étage en bois plein.
Au rez-de-chaussée, la lumière, en traits crus, alterne avec l’ombre sur les lames des persiennes blanches.
Les premières photos depuis l’intérieur de la maison.
La lumière glisse entre les interstices du bois des volets fermés, installe une pénombre ouatée.
Les fenêtres sont ouvertes, laissant passage au bourdonnement des insectes, à la chaleur. Quelques touches de couleur, vert du feuillage,  emplissent les vides à claire-voie des persiennes. Le bois ligneux occupe l’espace de l’image.

Une seconde série depuis la cour face aux volets fermés. Dans l’avancée de la lumière est photographiée la modification des parts d’ombre et de lumière sur les lamelles inclinées des persiennes.

Une autre série des volets rabattus contre la façade. La lumière descendant derrière les arbres du jardin allonge les ombres ou les dissémine. Sur les volets apparaissent des coups de pinceaux dans leur irrégularité, des coulures, des salissures. Ici une faille, une encoche dans le bois comme une virgule dans la lame émoussée.
Dissemblance au milieu de la répétition, de la régularité des espaces à claire-voie.
Le temps qui passe exalte  la beauté du bois en lutte.
Dans la lumière retombée un air de Satie au piano.

Il y a longtemps, derrière ces mêmes volets, quelqu’un jouait peut-être du piano en suivant les annotations : lent. Très brillant. En s’interrogeant. Du bout de la pensée. En cherchant en vous-même. Pas à pas. Sur le bout de la langue.